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Photo du rédacteur: Sarah FortinSarah Fortin

Le sachet de sucre

Par Sarah Fortin




Je tourne en rond. Je me relis. J’efface. Puis, je réécris. Me relis encore. Supprime les mots tapés dans les dernières minutes. 


Soupire. 


J’actualise mes réseaux sociaux pour la dixième fois, signe évident de procrastination. 

 

On m’avait déjà dit que la réécriture était la phase la plus difficile du processus de rédaction. Que le vrai travail d’écrivain commençait là. J’acquiesçais alors à l’évocation de cette affirmation, qui ne s’appliquerait évidemment pas à moi. Puis, le jour est venu d’entamer cedit processus de révision et de correction moi-même. Ah! 

 

Pleine de motivation, j’étais assise à la table de la salle à manger. Mon endroit de prédilection pour écrire. Pièce centrale de ma maison à aire ouverte, où je peux ressentir l’énergie avoisinante, percevoir la lumière de nombreuses fenêtres et m’inspirer de différents points de vue. J’aime écrire dans les cafés, mais mon portefeuille et mon système nerveux moins. 

 

La première séance fut un succès, puisque l’amorce de mon roman avait déjà été travaillée à maintes reprises. Mais, plus les semaines avançaient, plus je sentais une perte d’intérêt envers mon histoire et de l’évitement des blocs de temps alloués à la tâche. Mon récit est-il vraiment bon? Pourquoi fais-je ça? Il me semble que ce n’est pas pertinent? Qui en a quelque chose à faire que je termine ce livre? 


À force de relecture, mes phrases devenaient quelconques, frôlant la saturation sémantique (tsé, ce moment où un mot ne veut plus rien dire parce qu’on l’a trop dit ou entendu). Le doute m'emplissait. La confusion, même. Je pourrais ajouter cette information ici. Ou peut-être, la supprimer, puisqu’elle alourdit le récit? Puis, j’abandonnais temporairement le projet.

 

Mais c’est aujourd’hui que je brise le cycle. Assise depuis quelques heures devant mon écran, j’ouvre un nouveau document, question de me donner une impression de productivité. Ding! 


—    Allô petite pitchounette! Es-tu chez toi demain? 

—    Oui, je travaille de la maison. Veux-tu passer prendre un café? Je dois juste être à l’école pour prendre les enfants à 15h. C’est parfait, et ça me changera les idées. 


 

***

 

J’allume une bougie. C’est ma façon de survivre au mois de novembre. Ma recette gagnante anti-grisaille : bougie, café, playlists d’ambiance, marathon de Gilmore Girls et un soupçon de vin. 

 

J’entends les pneus de la voiture de mon père tourner dans ma cour. Avant de fermer mon ordinateur, je prends le temps de déplacer mon bloc de travail à demain dans mon agenda Google. La rédaction de mon livre attendra (sauvée par la cloche, comme on dit).

 

Je vois mon père à travers la vitre de la porte d’entrée, les bras chargés de deux gobelets en carton et d’un sac brun (que je devine être rempli de viennoiseries) portant l’étampe du café du coin. Je m’empresse d’aller lui ouvrir.  


—    Voyons p’pa ! Tu le sais que j’ai du bon café ici ! 

—    Je ne voulais pas m’imposer. 

 

Je fais semblant d’être agacée, mais au fond j’aime ces petites attentions. 


—    Je nous ai pris des viennoiseries. Ils venaient de faire des croissants aux framboises. As-tu vu comment ils sont beaux ? J’ai aussi pris des sachets de sucre pour ton café.

—    Je ne mets jamais de sucre dans mon café, tu le sais pourtant ! 

—    Ah, ben juste au cas. Tu les garderas pour tes invités. Quoi de neuf ? Maman m’a dit que t’étais bloquée dans la rédaction de ton histoire ?

 

Mes parents ne savent pratiquement rien de mon projet d’écriture. En fait, personne ne connaît les détails de celui-ci, à l’exception de mon chum, qui a toujours été mon premier lecteur et bénévole impliqué dans tous mes projets. Est-ce par peur de ne pas y arriver que je n’en parle pas ? Pour protéger mon ego ? Ou est-ce par crainte de me faire questionner sur l’avancement de mon récit ? C’est certain que le fait d’avoir l’impression de devoir rendre des comptes est confrontant. Surtout quand on doit composer avec un blocage. Même après un accouchement, la petite voix de la productivité ne manque pas de marteler mon esprit quand je tire mon lait ou quand j’essaie d’endormir les enfants pour une énième sieste interrompue. 

 

***

 

Comme le dirait Lorelei, la maman caféinée préférée de toutes les trentenaires dans la série culte des années 2000, I smell snow. Une matinée de première neige. Assise seule devant mon écran après la routine bruyante du matin, je survole la semaine à venir. Je réalise que je n’ai pas touché à mon récit depuis deux mois. En fait, je n’ai pas ouvert mon document depuis le matin du café avec papa.

 

Mon ventre émet un léger gargouillis. Je me lève pour me faire une toast au beurre d’arachides, emblème officiel du déjeuner tardif des matins plus chaotiques avec les enfants.

En voulant récupérer le pot de tartinade, j’accroche quelque chose : les deux sachets de sucre apportés par mon père quelques semaines plus tôt. Mes yeux les balaient une première fois, par automatisme. Puis, mon cœur saute un battement et mon attention revient se poser sur ceux-ci. Je les fixe quelques secondes, laissant du temps à mon cerveau pour assimiler l’information et relire la marque: Dubé & Loiselle.   

Dubé et Loiselle. Deux personnages importants de mon récit, qui ont été créés plusieurs mois avant que mes yeux ne rencontrent ces sachets.

 

D’abord frappée par la puissance de mon inconscient dans la création de ces personnages (notre cerveau emmagasine tellement d’information, c’est incroyable !), je suis ensuite enivrée par la puissance de ce message, de cette coïncidence, de cette synchronicité qui s’agite dans ma tête (et qui me crie : c’est quoi les chances ?!) 

 

Quelles étaient les chances qu’un matin de doutes, mon père, décidant tout bonnement de passer me voir à l’improviste, en profite pour me laisser des sachets de sucre portant le nom de deux personnages indissociables de mon récit ? 

 

Un feu créatif bout à nouveau en moi. Ne pouvant rester indifférente à ce signe, je reprends place devant mon clavier et commence à taper La fois où un sachet de sucre m’a redonné l’inspiration

 

Si c’est vrai que la créativité est une faculté que l’on peut entraîner, les blocages sont des nœuds que l’on peut démêler. Il suffit de lever les yeux de notre écran, de sortir prendre une bouffée d’air, pour retrouver l’inspiration qui carbure parfois au café… agrémenté d’un petit sachet de sucre.

 

 

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