La narration à deux voix
Écrire un roman
Par Marie-Christine Chartier
En 2018, je publiais mon premier roman L’allégorie des truites arc-en-ciel. On y retrouve une narration à deux voix. À intermittence dans le récit, nous avons accès à la perspective de Cam et celle de Max. Bien sûr, je n’étais pas la première à utiliser ce type de narration. Toutefois, elle reste plus rare que les histoires écrites au « je » ou encore que la narration d’un point de vue externe. La double narration est un des aspects qui a permis à mon premier roman de sortir du lot. Depuis, j’ai publié quatre autres romans, tous avec des narrations multiples. Pourquoi écrire à plusieurs voix ? De mon côté, le choix a découlé d’une curiosité intense de savoir ce que pensait le personnage de Max. En effet, quand j’ai commencé à rédiger, j’avais écrit le premier chapitre avec la perspective du personnage de Cam et, immédiatement, j’ai eu envie de me retrouver dans la tête de cet homme qui la préoccupait tant, qu’elle aimait tant. J’avais ce besoin de connaître sa version à lui, une version non teintée, non rapportée par Camille, une version objective de sa vision à lui. Je n’insinue pas que d’écrire à plusieurs voix signifie que nos narrateurs ne sont pas biaisés, mais nous avons accès à toutes les informations; les pensées, les émotions, les choix et les enjeux de chacun des personnages. C’est ce que je préfère de ce type d’histoire : on peut se faire notre propre tête (en tant qu’auteur et lecteur) sur les situations, les relations, en comprenant les points de vue des deux (ou trois ou quatre) personnages principaux. Principal enjeu : la structure La structure d’un récit à plusieurs voix peut constituer un casse-tête. Il faut comprendre qu’écrire signifie presque toujours réécrire, mais encore plus quand on choisit de raconter plusieurs perspectives à la fois. Parce qu’en s’aventurant dans la tête de plusieurs personnages, on découvre de nouvelles informations qui vont peut-être affecter ce qu’un personnage a dit, plus tôt dans l’histoire, qui vont changer notre propre perspective sur la situation. Si on ne tient pas à écrire avec un plan détaillé de notre récit avant de le commencer (comme c’est mon cas, car j’aime bien me réserver quelques surprises !), alors il faut accepter d’être appelé.e à retravailler le texte au fur et à mesure qu’il se développe. Ce qui m’aide le plus, c’est de me faire une ligne du temps que je garde à jour, au fil de l’écriture, afin de garder les évènements (et émotions) en ordre, au moins dans ma tête. Un autre défi auquel on fait face est celui trouver la voix des personnages – et de la garder. Personnellement, les voix initiales me viennent assez instinctivement, mais il faut quand même porter attention, au fil de la rédaction, que celles-ci demeurent distinctes, que les pensées continuent de clairement appartenir à un personnage. C’est facile de s’emballer, surtout dans un premier jet, et que certaines pensées ou paroles commencent à se ressembler d’un personnage à l’autre. Encore une fois, c’est ici que le travail de réécriture est important : s’assurer que les pensées et mots des personnages sont uniques. L’avantage principal Raconter une histoire à plusieurs voix permet aux lectrices et lecteurs de connaitre plus intiment tous les personnages et de les aimer. Ou du moins de les comprendre, si l’objectif n’est pas de les aimer. Ça crée un récit nuancé. On comprend les motivations derrière les actions des personnages. Par exemple, si un de nos protagonistes fait quelque chose de méchant : dans un récit avec une seule voix, nous n’aurons sûrement pas accès à la raison derrière cette action, ou la culpabilité du personnage, ou combien il est déchiré. Dans une narration à deux voix, on en vient à comprendre tous les personnages de l’histoire. Je crois que c’est une des raisons qui fait que les gens s’attachent aussi fortement aux héros de ce type de récit. La narration à deux voix, pour quel genre d’histoires ? Le meilleur conseil que je peux donner, c’est de l’essayer. Parfois, les voix de certains personnages sont plus fortes que d’autres, ou encore le récit ne convient pas à ce type de narration, mais on ne perd rien à tenter le coup. Je vous suggère d’écrire un chapitre du point de vue d’un des personnages secondaires, simplement pour tenter l’exercice. Ce type de travail n’est jamais perdu, de toute façon. Au mieux, vous allez réaliser que vos personnages en ont beaucoup plus à vous raconter que vous le pensiez. Sinon, vous aurez appris des informations qui pourront être utilisées plus tard dans votre roman.
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